Pavlos Matessis: Cabinet de curiosites

Pavlos Matessis, Cabinet des Curiosites, Bozar STUDIO

repetitions 14 novembre 2010

Pavlos Matessis, passager clandestin de la littérature

NE en 1931 à Divri, dans le Péloponnèse, Pavlos Matessis est avant tout un homme de théâtre en prose. Employé de banque, il a, un beau jour, tout laissé tomber pour se mettre à écrire. Résultat: sa première pièce, "la Cérémonie", obtient le premier prix d'un concours national de théâtre et est montée à Athènes. Ses onze autres pièces connaîtront le succès. Il a publié trois romans dont deux ont été traduits en français. A l'occasion de la publication du second, "l'Ancien des jours" (Actes Sud), nous l'avons rencontré dans la capitale grecque.

Quelle est la genèse de votre dernier roman?

Ce sont les choses qui décident pour moi, en réalité. Il y a comme un mouvement inconscient qui agit et me pousse à écrire ceci plutôt que cela. Je crois vraiment à cette inconscience. En fait, j'écris principalement des pièces. Je n'appartiens pas vraiment au monde des écrivains de romans. Je suis une sorte de "passager clandestin" (en français dans le texte - NDLR). Peut-être est-ce la foi en la Grèce qui décide pour moi. Je ne suis pas nationaliste. La nouvelle Grèce, dit-on, a démarré en 1821, en se libérant du joug turc. Mais nous ne l'avons pas décidé nous-mêmes. Les Européens l'ont fait. Ils ont décidé comment les Grecs devaient vivre et comment ils devaient être gouvernés. C'était un faux départ. Et nous le subissons encore aujourd'hui. Je veux dire par là que nous n'avons jamais vraiment vécu comme une nouvelle nation. Nous avons ce fardeau de l'Antiquité, de notre Antiquité. Nous sentons que nous avons à y regarder de plus près. Pour ainsi dire, c'est quelque chose qui nous est imposé. Ce qui fait que nous ne sommes pas entrés réellement dans notre nouvelle Histoire, notre Histoire européenne.

Les principaux protagonistes de "l'Ancien des jours" sentent qu'ils ont besoin d'entamer des choses nouvelles. Il y a une incompréhension sur le caractère d'Elissaios dans les articles publiés dans la presse grecque. Ils disent que c'est un imposteur. Ce n'en est pas un. Il se trompe lui-même. C'est la même chose pour la Grèce. Nous attendons des événements qui nous feront progresser. Un miracle. C'est vraiment pathétique car on ne peut pas vivre en attendant des miracles. Elissaios est sans doute très charismatique. Il croit en lui-même. D'une façon mystique il sent qu'il a un potentiel identique à celui d'un dieu. C'est ce qui nous arrive. C'est peut-être ce qui m'a poussé à écrire ce livre.

Vous n'êtes pas très tendre avec les gens, qui apparaissent ici assez bêtes ou, pour le moins, très crédules...

Je ne sais pas si je suis tendre ou non. Je décris les gens comme ils sont. Tous les personnages Ä et pas seulement les deux principaux Ä vivent avec un sens constant du devoir, beaucoup plus fort que le sens de leurs droits. C'est un trait permanent du caractère grec. Je ne les plains pas, je n'aime pas ça. Et je n'aime pas que les gens me plaignent. Mais lorsqu'ils attendent quelque chose de surnaturel, ils sont ainsi. Ils souhaitent que quelqu'un agisse à leur place. Je ne pense pas que l'ensemble des Grecs soient religieux. Il y a un pari sur le pouvoir céleste, c'est tout. Dans mon écriture, je ne photographie pas les gens, je les peins. Ce qui est fort différent. Nous n'avons pas besoin de représenter la vraie vie. En écrivant, il vaut mieux penser à la manière de Kafka, de Beckett... Je prends mon matériau dans la vie et, avec, je crée un nouvel univers.

Vous venez de vous définir comme un "passager clandestin" dans le monde des romanciers. Hasard ou nécessité?

Ce n'est pas vraiment une nécessité. J'ai commencé par écrire des pièces de théâtre. Et je sais que le théâtre continue à m'influencer, notamment dans mon style. Je travaille beaucoup avec des images, ce qui est le propre de cette discipline. Je crois que mon travail consiste en cette transcription d'images dans le monde des mots.

Préférez-vous l'écriture théâtrale?

Je ne crois pas aux choses logiques, mais plutôt à celles qui vous prennent par force et font de vous ce qu'elles veulent. C'est ce qui m'est arrivé avec le théâtre. J'ai commencé par être employé de banque. Soudain, je me suis mis à écrire des pièces de théâtre. Pas par expérience. Par quoi? Je n'en sais rien, à vrai dire. Il y a une intelligence acquise par la connaissance, les études. Il y en a une autre qui vous saute dessus, dès lors que vous aimez quelqu'un ou quelque chose, de manière individuelle. Cette sorte d'amour vous donne une intelligence interne.

Vous traduisez également des pièces, notamment celles de Shakespeare...

J'ai d'abord traduit Aristophane, du grec ancien en grec moderne. Traduire des pièces est un défi, une sorte d'exercice. Chaque nation qui a une Histoire a sa propre foi. Et il est si difficile de transcrire en grec le rythme de Molière. Vous ne devez pas trahir l'auteur. Mais, d'un autre côté, vous ne devez pas non plus trahir le public grec. Vous devenez alors une sorte d'ambassadeur entre les Grecs et Molière. Ou Shakespeare. Lorsque vous écrivez vous-même des pièces, vous apprenez ainsi à mieux utiliser vos propres outils.

Si vous arrivez à trouver la saveur correspondante dans votre propre langage, c'est gagné. Vous n'avez pas à traduire littéralement. Il y a des auteurs avec lesquels ça ne marche pas. J'estime par exemple, bien que cela ait été fait, qu'il est impossible de traduire correctement James Joyce en grec. Par contre, il est très possible de transcrire Proust. Je vais peut-être vous paraître hérétique, mais je pense que, parfois, le son est plus important que le sens. De même, je crois nécessaire de moderniser certains passages qui font expressément référence à une situation datée. Dans "la Paix" d'Aristophane, j'ai ainsi remplacé le nom d'un poète très estimé à cette époque, Ion, mort quelque temps avant l'écriture de la pièce. A l'époque, il y avait de l'émotion lorsqu'on évoquait ce nom. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. En revanche, si je remplace Ion par Papadiamantis ou par Melina Mercouri, je ne change rien à la pièce, mais je garde l'émotion.

Entretien réalisé par PIERRE BARBANCEY
ΗUMANITE-Culture 14 Août, 1998

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